« Conquérir sa joie vaut mieux que de s’abandonner à la tristesse » notait Gide le 12 mai 1927 dans son journal.
Qu’est-ce que la joie ? Une façon pleine, satisfaite, reconnaissante d’habiter l’existence. Le joyeux ne manque de rien. Pourtant il n’a pas tout – qui possède tout ? En revanche, il se contente de ce qu’il a. Mieux : il s’en délecte. Le joyeux n’éprouve pas de frustration. Alors qu’au déçu, au déprimé, au mélancolique, au fatigué, tout fait défaut. Si la tristesse est conscience d’une absence, la joie est conscience d’une présence. Quand la tristesse vise ce qui n’existe pas ou plus -chagrin d’avoir perdu quelqu’un, dégoût de se savoir faible, mortel, impuissant, limité-, la joie découle d’une plénitude. Elle crie notre plaisir d’être vivants, là, éblouis par ce qui nous entoure. Se réjouir et jouir, telle s’avère la joie. Elle ne demande rien, elle ne déplore rien, elle ne se plaint de rien. Elle célèbre, elle remercie. La joie est gratitude. Quelle légèreté nous apporte la joie en nous délestant de ce qui nous alourdit, ambitions, regrets, remords, obsessions, amertumes, illusions, prétentions !
Notre époque n’aime pas la joie. Elle aime l’étourdissement et le divertissement, ces pratiques qui nous arrachent à l’ennui ou l’affliction sans approcher la joie. Dans le joyeux, elle ne voit qu’un abruti, jamais un sage. Or, il y a une sagesse de la joie. Heureux de vivre, non seulement je consens mais j’aime : je consens à ce qui existe et j’aime ce qui tombe sous mes sens. J’épouse et j’adore l’univers.
Eric-Emmanuel SCHMITT